De la PME à 23 ans au SMIC à 50 ans

Voici le texte simple d’un parcours de vie qui nous a touchés. C’est une illustration de ce qui arrive au quotidien à des hommes d’action pour laquelle l’opinion n’aurait d’ailleurs aucune tendresse particulière puisque l’entrepreneur est mal vu.

Elle n’est pas admirative devant des parcours à risques d’hommes et de femmes mais au contraire « schadenfroh » lorsque l’entrepreneur tombe. Le contexte social fait qu’un chef d’entreprise qui galère « n’a que ce qu’il mérite » comme le mériterait un accroc du jeu, un joueur, un écervelé ! D’un autre côté, on constate l’exigence de réussite d’une société pourtant dépressive: les enfants doivent tous devenir des traders ou des Steve Jobs ! Pas de place pour l’échec! qui fait partie de la vie. L’incapacité a été pourtant toléré par l’opinion qui réélit des hommes politiques aux bilans catastrophiques.Le paradoxe dans tout cela est que les patrons PME sont considérés par les Français comme ceux en qui ils ont confiance pour sortir de la crise, bien loin devant les politiques et les partis. Ce sont bien les mentalités qui doivent changer.

Voici le témoignage de l’itinéraire d’un homme de bonne volonté et de ses aléas:

« A peine sorti de mes études de marketing, j’ai créé ma première entreprise de conseil en communication. Ce fut un échec mais une excellente formation. Sur cette base, j’ai construit ma carrière de Directeur Marketing et Distribution dans la filiale française d’un groupe international. Je suis devenu un manager pour des dizaines de personnes, membre du Comité de Direction, j’avais un très bon salaire, des primes, un véhicule de fonction. Les années 2000 s’annonçaient magnifiques ! J’étais passionné par mon boulot et ne refusais jamais d’en avoir plus. Je ne mangeais plus à midi, je perdais des kilos, deux, trois puis quinze. Je faisais du sport. J’avais des attaques de larmes dans la voiture et me disais simplement que j’étais fatigué.

Et voilà, que ce qu’on appelle le « burn out » et dont je n’avais pas entendu parler, me met à terre. 2011, je négocie mon départ à l’amiable, une indemnité d’un an de salaire et des allocations chômage. Le virus de l’autonomie et de la vie d’entreprise ne m’avait pas quitté pour autant. Je créé ma boite et consacre mon savoir et mon expérience au service des PME. Je m’installe dans une grande maison et fait correspondre ma vie à celle des magazines bobo et déco. Je travaillais beaucoup. J’avais ma boite qui fonctionnait bien, j’avais des amis et je m’investissais dans des causes sociales et syndicales. L’expérience du burn out m’avait donné une fibre très sociale, trop ?

Ma maison était remplie d’amis en galère, entre divorce et période de chômage. Ils venaient se poser dans la « maison bleue », le temps de se requinquer un peu. Mon couple n’a pas résisté à cette vie d’activités. Finalement, j’étais retombé dans une spirale. Je ne pouvais plus rassurer mes amis puisque j’avais moi-même à tout reconstruire. Je ne me suis plus senti à la hauteur des enjeux. J’ai souffert.

Après 5 ans, je viens de clôturer mon entreprise. J’exerce mon métier de consultant et formateur en tant que salarié associé dans une petite entreprise. Je galère. Je n’ai plus la maison, je n’ai plus assez d’argent pour financer le BTS de ma fille ou la pension alimentaire de mon ex-femme. J’ai retrouvé une nouvelle compagne qui se bat pour éviter le dépôt de bilan, sauver son commerce et ses deux salariés. Ma banque me bloque ma carte bleue à cause de mon découvert de 3000 euros à la place de 1500. J’ai utilisé toutes mes économies. Mes parents ont de petites retraites. En tant qu’ancien chef d’entreprise, il est extrêmement difficile d’accéder aux aides d’état. J’ai demandé le RSA et les APL mais je n’ai pas de réponse. Je ne connais même pas ce monde des dossiers de demande, des entretiens dans des administrations, face à des assistantes sociales, des tarifs spéciaux, des attentes de réponse qui deviennent vitales. Je cherche des revenus complémentaires car je gagne un smic à 50 ans.

Je me retrouve face à ces folies des cases à remplir, des vérifications, de la logique des administrations. L’administration et ses contraintes, ses calculs, ses taxes, constituait avant une sorte de parcours d’obstacles qui correspondait à mon profil de battant. La bureaucratie est supportable quand on va bien, quand on est en phase dynamique. Elle devient un poison mortel quand votre entreprise ne va plus ou quand vous êtes sortis des rails.

Je donne ce témoignage pourquoi ? Pour dire que la vie n’est pas linéaire et que la vie dans une entreprise et comme entrepreneurs est usant. Pour dire que si les pertes de temps en paperasse ou le harcèlement d’une administration sont des facteurs parmi d’autres qui peuvent vous abattre, que les patrons, les cadres, les entrepreneurs prennent aussi les mauvaises décisions, que souvent, on est seul, que de devoir être un battant, c’est parfois fatiguant mais je le reste.